Journal de bord de résidence

Sans heurt, sans effet, à la manière d’un feu qui s’éteint, ma résidence se termine. Dans une semaine, je serai dans le train pour Paris. Cette semaine a été un brin différente des autres : j’ai attrapé une petite « crève », comme le dit vulgairement. Officiellement, ma semaine a donc commencé hier, avec une rencontre au CDI du collège de Lafrançaise. À la différence de la dernière fois, où nous avions organisé un atelier d’écriture en classe entière, hier, il s’agissait d’un moment plus informel, destiné aux élèves volontaires. De toute évidence, des élèves qui ont une appétence certaine pour la lecture et/ou l’écriture. Et cela s’est confirmé, puisque j’ai découvert un petit groupe très enclin à parler de ces sujets, si bien que certains ont tenu à me montrer leurs productions. Entre l’un qui écrit des haïkus, l’autre qui commence un roman fantastique, et encore d’autres qui écrivent des romans à plusieurs mains (!!), j’ai été servi. Parmi les moments attendrissants de cette rencontre, l’un des élèves a levé la main, afin de me demander si j’avais lu « Le Club de Vazerac ». Je lui ai répondu que non, que je ne connaissais pas ce livre. Je lui demande alors qui l’a écrit. Il me dit « c’est moi », tout à fait persuadé que son texte a fait le tour des librairies de France. Dans l’ensemble, cette rencontre a été l’occasion de constater que, contre toute attente, une certaine émulation émanait de ces élèves dans l’acte d’écrire. Une émulation que j’ai clairement sentie dans leurs questions, parfois très précises quant à la « technique » de l’écriture. 

Aujourd’hui, l’ambiance était tout autre, puisque j’ai « mené » un club de lecture à l’EHPAD de Lafrançaise. J’étais déjà venu la semaine dernière, afin que l’on décide ensemble ce que l’on allait pouvoir faire, et le grand jour était arrivé ! J’ai donc lu trois textes, après avoir essayé d’échanger un peu avec eux autour de l’écriture, de la lecture. Le premier texte, le journal d’un médecin de montagne, a visiblement beaucoup plus, si bien que les résidents ont demandé que je le réserve à la médiathèque. Quant aux deux autres, s’ils ont été moins bien « accueillis », j’ai toutefois laissé les deux livres en cadeau aux résidents, qui n’ont pas boudé leur plaisir pour s’en emparer.

la clôture de la résidence se profile, peu à peu. Pour celles et ceux qui le souhaitent, rendez-vous vendredi 13 juin à 17h à la médiathèque de Lafrançaise. J’y raconterai mon expérience, j’y présenterai des textes de certaines personnes que j’ai pu rencontrer, et je lirai « en exclusivité » un extrait de mon prochain roman, qui n’est pas encore sorti. Venez nombreux et nombreuses !

Depuis que je suis arrivé à Lafrançaise, j’ai noté deux choses qui, si elles sont relativement universelles, n’en restent pas moins centrales. Ces deux choses se tiennent dans deux moments distincts que j’ai vécu. 

Le premier, c’est cette soirée improvisée que j’ai faite cette semaine. Une soirée tout ce qu’il y a de plus classique, à ceci près que j’étais l’intrus. J’ai intégré un petit groupe d’amis chez la mère de C., avec A., O., et toute une tablée qui m’a accueilli comme j’étais censé être prévu au dîner. Au-delà de cette convivialité, j’ai évidemment discuté avec tout le monde (il ne manquerait plus que ça !), j’ai appris à m’imprégner de cette galerie de personn(ages), et j’ai réalisé une chose : habiter ici, c’est d’abord y revenir.

Oui. Au fil de mes rencontres, un constat sans appel s’est imposé : tout le monde part de Lafrançaise pour mieux y revenir. Qu’il s’agisse d’un enfant de la région depuis 60 ans, d’un ancien étudiant ou d’un natif en manque du pays, rares sont les personnes qui ont décidé de quitter le territoire, pour de bon.

Que faut-il y voir ? Un simple attachement aux racines ? Une nostalgie collective qu’on essaie d’étouffer par de nouveaux souvenirs ? Un amour franc et massif de la région ? Chacun possède ses raisons, et au final, peu importe la teneur de ces dernières. Je ne suis pas là pour tirer des conclusions.

Le deuxième constat est catalysé dans un lieu qui n’existe plus. Ou plutôt, qui existe moins. L’Art du temps. Le restaurant de la place principale de Lafrançaise a visiblement brûlé avant mon arrivée, et s’est aujourd’hui installé près du Carrefour, en contrebas de la vallée. Et si, actuellement, il est en rénovation pour mieux revenir (lui aussi), je pense pouvoir compter sur les doigts des mains les gens qui ne m’ont PAS parlé de ce lieu central dans le village.

Un lieu où se mêlait visiblement l’art, la convivialité, et une carte maîtrisée. Le genre de lieu que j’aurais à coup sûr adoré, dont l’ADN est aujourd’hui dilué par son emplacement excentré. Plus qu’un bon restaurant, L’Art du temps a l’air d’être ce centre névralgique qui manque à tout le monde.

Ce sentiment partagé par les Lafrançaisains nous dit alors qu’habiter tient aussi dans les lieux. Car si on aurait pu penser que les gens sont la clé de voûte d’un village, en réalité, tout ce petit monde se réunit bien quelque part. Il faut y penser. Alors voilà, l’Art du temps incarne ce manque collectif, cette attente soupesée de fierté lorsque l’ouverture prochaine du nouveau restaurant sera prononcée. Chacun pourra enfin s’y rendre de son côté. Mais ensemble.

Les semaines se suivent, ne se ressemblent pas. Lundi, je me suis rendu à l’Ehpad de Lafrançaise, afin de faire connaissance avec les résidents et les résidentes, et imaginer ensemble les ateliers/activités que l’on pourrait faire. Dans l’absolu, je ne maîtrise ni le bricolage, ni le tricot, donc les idées d’ateliers de lecture ou d’écriture ont vite été au centre du débat.

En quelques minutes, les résidents étaient unanimes : ce sera un « club de lecture ». Je lis des textes, et on en parle, ensemble. De toute évidence, voilà déjà quelque temps que l’un d’entre eux demandait un « conteur », et il est tout à fait possible que ce conteur soit… moi, dans les jours à venir ! Je leur ai demandé quels textes ils souhaitaient entendre : des auteurs favoris, des styles privilégiés ? La réponse était unanime : non. Débrouille-toi Thomas. Très bien. Ça me va.

À peine sorti, donc, j’ai commencé à réfléchir à certains livres que j’avais pu lire lors des mes précédents clubs de lecture en Ehpad à Paris (j’en ai déjà l’expérience). Quelque chose me dit que ça ne devrait pas être difficile de trouver, mais mon enjeu, pour la semaine prochaine, reste que nous puissions discuter de ces textes, ensemble. De faire réagir ceux qui m’écoutent. Affaire à suivre, car je sais par expérience que ce public n’est pas toujours « facile » dans son approche.

Aujourd’hui, je me suis rendu à Montauban, non seulement pour acheter quelques livres en vue du club de lecture, donc, mais aussi pour faire partie du jury autour du projet « Une année de vive voix », organisé par Confluences. Des classes de collégiens/lycéens se sont succédé sur la scène de l’Espace des Augustins, afin de nous livrer une lecture mise en scène d’un texte choisi, pensé par leur soin, et travaillé en amont avec un comédien ou une comédienne.

Pour nous, jury, l’idée n’était pas d’opérer un classement (ce qui m’a rassuré, car je n’ai aucune expérience/légitimité dans la lecture à vive voix), mais bel et bien de les encourager à poursuivre dans cette voie. De montrer que la lecture peut permettre de tisser des liens, malgré son caractère solitaire. Que le collectif, autour d’un texte, est parfois encore plus intéressant pour le comprendre, et le transmettre. Je suis donc reparti à Lafrançaise avec mes livres, et une nouvelle expérience en poche, ce qui est toujours bon à prendre, non ?

Si, il y a deux jours, je travaillais avec des adultes, aujourd’hui, c’est au collège Antonin Perbosc que je me suis rendu. Avant d’en parler, la question de l’identité de cet homme s’est posée. Qui était-il ? J’ai cherché pour vous !

Il s’agit (s’agissait) d’un ethnographe et poète occitan, né à Labarthe et mort à Montauban. C’est donc lui qui a donné son nom au collège de Lafrançaise. Puisqu’on ne change pas une équipe qui gagne, j’ai beau essayer d’être à l’heure (et parfois même en retard), je finis toujours par être en avance. Au moment d’arriver sur le parking du collège, j’ai donc le temps de contempler le chemin que j’aurais pu (dû) prendre depuis le début pour aller à Carrefour, qui m’aurait évité bien des suées en remontant avec mes sacs de courses lors de mes premiers jours.

Ceci étant dit, je suis rejoint par N. de l’association Confluences, ainsi que par S., qui gère le CDI de l’établissement. C’est la première fois que je fréquente un public de collégiens (en l’occurrence, une classe de 5e). Il y a encore un mois, j’étais en résidence au sein d’un lycée de Strasbourg, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il s’agit d’un public largement différent. Ici, les élèves sont encore des « enfants » (toutes proportions gardées sur ce terme, évidemment), et il me semble que l’emplacement géographique du collège, hors d’un centre ville, apporte une texture supplémentaire à l’état d’esprit général. Pour le dire simplement : je suis persuadé que tout va bien se passer.

Je rencontre L., la professeure de français qui se charge de la classe en question à cette heure-ci. L’idée ? Organiser un atelier d’écriture autour du thème « Lettre à mon lieu », qui fonde l’un des piliers de mon projet de résidence. En deux mots, il s’agit, pour les élèves, d’écrire une lettre à un endroit qui leur est cher, mais aussi, pourquoi pas, qui leur a laissé de mauvais souvenirs, dans lequel ils aimeraient retourner, etc. Bref, l’enjeu est de lier émotion et territorialité. Je précise et insiste sur le fait qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière de faire. C’est le principe et la beauté de l’écriture. Très vite, je réalise également que le temps d’attention et de concentration d’un collégien est bien différent de celui d’un lycéen. De ce fait, le cours ne se compose pas de la même manière. N’étant absolument pas pédagogue et encore moins doté d’une autorité naturelle, je bénis la professeure d’être à nos côtés, afin de cadrer un peu ces deux heures qui se seraient transformées en véritable chaos/fourre-tout/bazar si j’en avais été le seul aux commandes.

Lors de la restitution de cette résidence (le 13 juin à 17 heures à la médiathèque de Lafrançaise), nous aurons l’occasion de voir la plupart des textes imprimés et illustrés, mais aujourd’hui, certains ont commencé à nous lire quelques bribes de leurs écrits. Il est assez doux de les voir se débattre avec les mots et les émotions, ensemble, pour les transmettre. Une transmission, oui, en forme de tâtonnement, qui est plus que jamais émouvante à entendre. J’ai hâte de pouvoir lire tous les textes finalisés. À la fin d’heure, une élève, avec qui je n’avais pas tissé de lien plus que les autres au cours des deux heures, vient me voir, et me tend un papier où il est écrit « merci d’être venue » (avec un « e », oui). Il n’y a rien de plus symbolique, lorsqu’on intervient dans une classe, qu’on ne sait pas où tout ça nous mène, que ce genre de cadeau. Je déplie le papier, et, si je ne peux m’empêcher d’y voir des fautes, un sourire se dessine sur mon visage quand je le lis : 

C’est la première journée, depuis que je suis ici, qu’il pleut. Il y a quelques jours, j’ai eu rendez-vous au centre social avec Emily, sa responsable. L’idée était de préparer ensemble des séances au cours desquelles je pourrais rencontrer des usagers et parler écriture, ensemble. J’ai pu y rencontrer plusieurs bénévoles qui, comme le sont souvent ce genre de personnes, ont été particulièrement sympathiques, accueillants. Bienveillants. Ce genre d’ambiance qui donne envie de s’engager. Nous avons convenu que je reviendrais co-animer/participer à un atelier d’écriture avec M. Et ce fut aujourd’hui. Au-delà du fait que tout s’est parfaitement passé, c’était l’anniversaire de D., qui avait rapporté de quoi faire un apéritif en fin de séance. Rien de plus simple et de plus agréable que ce moment où nous avons pu échanger, nous rencontrer, et planifier une séance supplémentaire imprévue que j’animerais, seul, en juin. Ce type d’atmosphère serait presque reposant pour l’esprit. Je me sentais à ma place.

Aussi, je retiens de cet atelier l’espace dans lequel il a été mené. Le centre social. Si on a volontiers coutume de lui apposer l’étiquette d’un centre pour personne « défavorisées » (ce qui, en soi, ne veut pas dire grand-chose), dans l’absolu, le centre social est d’abord un centre… social, au sens étymologique du terme (« le compagnon »). Il est un lieu de rencontres. Pour tout le monde. Absolument tout le monde. Sa mission ? Créer du lien, tout simplement. Et de fait, alors que je me ressers du vin pétillant que je n’avais pas prévu de boire en arrivant, je comprends qu’ici, tout n’est pas prétexte à célébrer. Tout est prétexte à être ensemble. Alors qu’on ne se connaît pas, P. Et D. vont jusqu’à me proposent de me véhiculer si besoin, et même de m’accompagner pour tester des restaurants de la région (j’ai d’ailleurs découvert « La Brigade du goût », une association de restaurateurs dans la région). 

Une expérience similaire s’est produite dans l’après-midi, alors que je remontais la côte, mes sacs de course à la main. Un habitué du café, dont je réalise que je ne connais pas le prénom, s’est arrêté avec sa voiture. Comme si on se connaissait depuis des années, il m’a salué. Il allait dans la direction opposée, mais m’a proposé de faire demi-tour pour me ramener « chez moi ».

Est-ce que je suis dans cette dynamique d’ouverture ou est-ce une vignette commune au territoire ? En tout cas, force est de constater que le social, ici, est partout. Même lorsqu’on rentre de Carrefour. 

Jour de marché. Mon préféré, définitivement. Il y a des airs de dimanche dans ce lien que les gens construisent entre eux. Une douceur de vivre, oui, définitivement. Il fait beau, je suis à la terrasse du Duplex, mon panier de provisions à côté de moi. Voilà déjà une semaine que je suis ici. 

Il y a un groupe de gens d’ici, que L., la tenancière du café, me présente : « Parlez-vous, vous aurez des choses à vous dire. Ils sont nés ici ». 

Et ça ne loupe pas. Le petit groupe est éminemment sympathique. Notre conversation n’a que peu d’intérêt ici, mais, alors que je suis reparti à mes occupations de mon côté de la terrasse, mon oreille capte des bribes de leurs échanges. Je prends un morceau au vol. J’entends vaguement que dans la région, la coiffure à domicile remplace peu à peu les salons. J’ai l’impression d’être loin des petits questionnements de Paris, où la concurrence dans le domaine tient dans davantage le concept de « bar à cheveux » et autres « coloristes de stars ». Ici, les enjeux de préoccupation tiennent davantage dans la question des déplacements et des services qu’à celle de divertir un public en manque de contenance.

Plus tard, je rencontre cet homme, très barbu, à la voix qui trahit sa vie passée, J-P, je crois, qui, avec son ami E., écrit des textes. Je lui conseille de regarder ce que propose Confluences, puisque la semaine dernière, j’ai pris un car, j’ai traversé un morceau du pays pour me rendre à une soirée de lecture à voix haute, organisée dans les locaux de l’association. En bref, le type de soirée qui pourrait mettre un pied à l’étrier à J-P. ou, au moins lui donner un peu de vigueur intérieure quant à ses talents d’écrivain (que je ne connais pas, je le précise !). Il me dit qu’il va leur écrire. Je suis l’initiateur d’un bon plan dans la région. Mon premier. 

Est-ce lui ou est-ce un autre, je me souviens également que quelqu’un, grisé par mon statut d’écrivain, a commencé à me réciter de mémoire certains de ses vers. Je l’ai noté sur une note de mon téléphone. J’aimerais me souvenir de qui ces mots sont. Les voici tout de même : « Je ferais de ma vie l’escorte de la tienne. Si tu m’aimais un peu, si tu voulais de moi, je n’aurais plus de Dieu, mon âme serait tienne. »