Journal de résidence : samedi 31 mai 2025

Depuis que je suis arrivé à Lafrançaise, j’ai noté deux choses qui, si elles sont relativement universelles, n’en restent pas moins centrales. Ces deux choses se tiennent dans deux moments distincts que j’ai vécu. 

Le premier, c’est cette soirée improvisée que j’ai faite cette semaine. Une soirée tout ce qu’il y a de plus classique, à ceci près que j’étais l’intrus. J’ai intégré un petit groupe d’amis chez la mère de C., avec A., O., et toute une tablée qui m’a accueilli comme j’étais censé être prévu au dîner. Au-delà de cette convivialité, j’ai évidemment discuté avec tout le monde (il ne manquerait plus que ça !), j’ai appris à m’imprégner de cette galerie de personn(ages), et j’ai réalisé une chose : habiter ici, c’est d’abord y revenir.

Oui. Au fil de mes rencontres, un constat sans appel s’est imposé : tout le monde part de Lafrançaise pour mieux y revenir. Qu’il s’agisse d’un enfant de la région depuis 60 ans, d’un ancien étudiant ou d’un natif en manque du pays, rares sont les personnes qui ont décidé de quitter le territoire, pour de bon.

Que faut-il y voir ? Un simple attachement aux racines ? Une nostalgie collective qu’on essaie d’étouffer par de nouveaux souvenirs ? Un amour franc et massif de la région ? Chacun possède ses raisons, et au final, peu importe la teneur de ces dernières. Je ne suis pas là pour tirer des conclusions.

Le deuxième constat est catalysé dans un lieu qui n’existe plus. Ou plutôt, qui existe moins. L’Art du temps. Le restaurant de la place principale de Lafrançaise a visiblement brûlé avant mon arrivée, et s’est aujourd’hui installé près du Carrefour, en contrebas de la vallée. Et si, actuellement, il est en rénovation pour mieux revenir (lui aussi), je pense pouvoir compter sur les doigts des mains les gens qui ne m’ont PAS parlé de ce lieu central dans le village.

Un lieu où se mêlait visiblement l’art, la convivialité, et une carte maîtrisée. Le genre de lieu que j’aurais à coup sûr adoré, dont l’ADN est aujourd’hui dilué par son emplacement excentré. Plus qu’un bon restaurant, L’Art du temps a l’air d’être ce centre névralgique qui manque à tout le monde.

Ce sentiment partagé par les Lafrançaisains nous dit alors qu’habiter tient aussi dans les lieux. Car si on aurait pu penser que les gens sont la clé de voûte d’un village, en réalité, tout ce petit monde se réunit bien quelque part. Il faut y penser. Alors voilà, l’Art du temps incarne ce manque collectif, cette attente soupesée de fierté lorsque l’ouverture prochaine du nouveau restaurant sera prononcée. Chacun pourra enfin s’y rendre de son côté. Mais ensemble.